Art de faire le papier |
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De la roue et des maillets
89. La chante étrière, dont nous avons parlé (§. 79), recevant toute l'eau du canal, la dégorge sur une grande roue destinée à mouvoir les maillets. Cette roue peut être de différens bois et de différentes dimensions, suivant les circonstances et les lieux. 90. Celle qui est représentée en AA (pl. I fig. 2), a sept pieds et demi de diamètre : elle est faite en sapin, mais énarbrée par le centre sur une grande pièce de bois de chêne HH, de vingt-huit pieds de long, arrondie, ou taillée à pans, ayant treize à quatorze pouces de diamètre, à la réserve d'une tête T, d'un pied et demi d'équarrissage, dans laquelle sont assemblés à mortaises les bras B de la roue, qui se croisent l'un l'autre au milieu par des entailles. Sur l'extrémité de chaque bras est fixé le milieu d'une jante ou courbe telle que E d'environ un pied de large sur trois pouces d'épaisseur qu'on assujétit fortement sur ses bras par des coins F, ou clavettes de bois, qui chassent la courbe vers le centre. Les quatre courbes ensemble font la circonférence interne de la roue, au-dessus de laquelle s'élèvent vingt palettes ou volets D, qu'on nomme alives, y compris les quatre qui sont formées en M par les extrémités même des bras. Toutes ces alives ont aussi un pied de large. Il y en a seize qui sont penchées ou inclinées sur le rayon et sur les courbes ; au lieu que les quatre alives M, restent perpendiculaires, à cause de la facilité qu'on a de les trouver toutes faites aux extrémités de chaque bras. Tout cela est revêtu à droite et à gauche de chanteaux ou jqntilles, telles que C,C. Ce sont des planches de sapin, qui suivent la courbure de la roue, et qui, étant attachées par des chevilles aux jantes de la roue, forment comme autant de petites auges ou espèces de godets, qui reçoivent l'eau du canal, et mettent la machine en mouvement. Il paraît qu'une roue plus grande que celle-là, qui aurait un plus grand nombre d'aubes, et qui recevrait l'action de l'eau par la partie supérieure, aurait plus d'avantage ; mais ce sont les circonstances locales qui déterminent ordinairement ces détails, et nous nous en sommes tenus à cet égard aux figures qui avaient été gravées autrefois. 91. L'arbre tournant qui traverse la roue, se nomme indifféremment le grand arbre ou l'arbre des chevilles, parce qu'il porte les cames ou mentonets. Il est représenté en S dans la fig. 1, et en H dans la fig. 2. Il est terminé par des tourillons, ou pivots cylindriques de fer, qui y sont encastrés profondément, et garnis de bonnes fretes ou cercles de fer, qui les fortifient et les entretiennent. Ces pivots de fer portent dans des grenouilles de laiton, telles que I (fig. 2), suivant la règle des bons ouvriers, qui est de ne pas faire frotter le cuivre sur du cuivre, mais du cuivre contre du fer. Les grenouilles sont portées chacune sur deux dormans, le petit dormant I étant posé sur le gros dormant K, qui lui-même est posé sur un massif O de maçonnerie. Le long de l'arbre S, sont posés de distance en distance soixante-douze mentonets ou cames de bois blancs, qui ont trois ou quatre pouces de saillie, telles que 1 et 2 (fig. 1), et PP (fig. 2). Ces mentonets sont placés de façon qu'il y en ait toujours dans la circonférence quatre qui répondent à chaque maillet, afin de l'élever quatre fois à chaque tour de la roue, et de le laisser tomber autant de fois dans le creux de piles, où la pâte doit être triturée (28). 92. L'arbre des piles, qu'on appelle en Auvergne l'arbre des bachats (29), est une grosse pièce de bois de chêne d'environ vingt-trois pieds de long sur deux pieds d'équarrissage. C'est dans l'épaisseur de cette pièce de bois que sont taillés six creux de piles, distans par les bords de sept à huit pouces. Ces creux de piles, qu'on nomme en Auvergne bachats, sont évasés par le haut, et ont une ligure ovale de trois pieds sur un pied et demi ; leur profondeur est d'un pied et demi, et ils vont en diminuant par une espèce de dégradation et de courbure, telle que le fond n'a plus qu'environ deux pieds sur sept à huit pouces de large. Dans l'Angoumois, les piles n'ont toutes qu'environ treize pouces de profondeur, et deux pieds ou deux pieds et demi de largeur. 93. Le fond des creux de piles est couvert d'une platine de fer d'un ou deux pouces d'épaisseur, qui est fixée par quatre gros clous qu'on nomme agrafes, trois pouces et demi de long. Ces platines sont quelquefois de fonte, quelquefois de fer battu : l'Auvergne tire les siennes des martinets (*) de Vienne ou de Nevers. Cette platine de fer a quelquefois l'inconvénient de se rouiller quand les piles sont vides, et d'occasionner des taches au papier ; il serait par conséquent très-utile d'employer une matière plus dure et moins sujette à la rouille : telle serait une forte semelle de cuivre et d'étain, composition qui ne se rouille point, et dont on verra que se font les platines. Au défaut de cette ressource, on a soin de commencer par faire du papier commun dans les piles qui se sont reposées quelque tems, et dont les semelles peuvent être rouillées, pour les nettoyer ainsi avant d'y travailler du papier fin. 94. La plupart des moulins sont composés de six piles : trois qui éfilochent, deux qui affinent, et une qui affleure ; mais il y a aussi des moulins de cinq et de quatre piles (30). La forme varie aussi bien que le nombre ; j'ai vu des moulins, dont les piles avaient trois pieds deux pouces, sur deux pieds et un pouce, se réduisant en forme de talus d'un seul côté à un pied neuf pouces de long, sur neuf pouces de large dans le fond. Cette forme des auges n'est point indifférente, la pâte devant y circuler et y être sans cesse retournée pour que la trituration soit régulière : la forme dont je viens de parler peut être préférable, en ce qu'elle facilite ce retournement continuel des chiffons. Dans un mémoire envoyé à l'Académie de Besançon, à l'occasion du prix qu'elle a proposé en 1759 sur cette matière, il est parlé d'un moulin où l'on a fait toutes les auges en pierre (31), pour éviter les saletés que le bois fournit en s'altérant et se détruisant par des frottemens continuels. Mais il serait bon de savoir si l'expérience est favorable à cette pratique. 95. Les maillets, marteaux, ou pilons (planche II, fig. 3), sont des pièces de bois de sept pieds quatre pouces de long AA. La partie B, qui est proprement le marteau, a environ trois pieds et demi sur six pouces d'équarrissage : elle est emmanchée à onze pouces près de son extrémité supérieure par une mortaise de sept à huit pouces de long, sur environ un et demi du large ; et le manche qui la traverse par cette mortaise, y est serré par-dessus avec un coin de bois X. Il y a trois sortes de maillets qui diffèrent par leur forme comme par leur usage, et qui agissent dans trois ordres de piles appelées en Auvergne, piles-drapeaux, piles-floran, pile de l'ouvrier ; et en Angoumois, piles à éfilocher, à affiner, à affleurer. Les trois premières piles les plus propres de la roue, qui sont les piles-drapeaux, ont leurs six maillets fortifiés par des liens ou des viroles de fer, et garnis de vingt clous de fer, qui ont cinq pouces de long, et environ un pouce sur six lignes de base, pointus et tranchans, destinés à hacher les drapeaux. Le nombre de ces clous va quelquefois jusqu'à quarante. Les douze maillets suivans, qui agissent dans les piles-floran, ont des clous à tête plate en forme de coins, semblables, si l'on veut, aux larmes ou gouttes de l'ordre dorique. Ceux-ci ne peuvent que piler et broyer ; ils servent à la quatrième et à la cinquième piles destinées à affiner. Les trois maillets de la sixième pile, appelé pile de l'ouvrier ou pile à affleurer, n'ont aucune garniture de fer ; leur tête est simplement de bois, et ils ne servent qu'à délayer la pâte, lorsqu'on veut l'employer. En Angoumois, les maillets à éfilocher sont garnis d'environ quarante-huit clous, qui pèsent ensemble douze livres ; les maillets à affiner ont un plus grand nombre de clous que les maillets à éfilocher ; néanmoins on finit quelquefois avec les maillets à éfilocher, qui ont été altérés par un long usage. Quand les moulins tournent bien, chaque maillet frappe environ quarante coups par minute. 96. En 1746, M. du Ponty proposa des pilons dont l'armure était d'une seule pièce de fer cannelée ; l'épreuve en a été faite depuis en 1749, à Etampes, où, quoique les eaux ne soient pas propres au beau papier, elle réussit très-bien ; et l'on vit que la durée de l'opération en était sensiblement diminuée. 97. L'extrémité p (planche II), qui passe au-delà de la tête du maillet, est celle que lèvent les chevilles du grand arbre ; elle est garnie d'un lien ou virole de fer a, et porte en dessus une petite platine p, aussi de fer, longue de huit à neuf pouces, sur deux de large, et deux lignes d'épaisseur, qu'on nomme éperon : il est représenté séparément en D. Cet éperon est serré fortement à la tête du manche par la virole a, au moyen de deux coins, 1 et 2, qui sont chassés l'un à droite, et l'autre à gauche ; il sert à recevoir l'action des chevilles qui font lever le maillet : sans l'éperon, la tête serait bientôt usée. L'autre extrémité, ou la queue du maillet, est aussi garnie d'un lieu de fer a, bridé par un coin de bois, marqué 3, pour empêcher que cette partie n'éclate en tournant sur l'axe Y. Cette extrémité est encore entaillée pour recevoir les crochets qui doivent tenir les maillets élevés, lorsqu'on ne veut pas qu'ils battent. Cette opération se fait de la manière suivante. Trois crochets, qu'on appelle Crochets des grippes de devant, marqués chacun d'une étoile dans la figure 3, sont destinés à accrocher les queues des marteaux ; une pièce de bois E, nommée l'engin, qui sert de levier, porte vers sa tête une virole à jour e, qui embrasse le levier, et peut embrasser encore l'extrémité de la queue du marteau, à l'endroit où elle est entaillée. L'ouvrier saisit donc cette entaille A, avec la virole e, et appuyant sur l'extrémité du levier, il la ramène jusqu'au point d'y placer le crochet : alors le maillet se trouve élevé hors de la portée des chevilles du grand arbre qui continus de tourner. 98. Chacun de ces maillets tourne en forme de bascule autour d'un axe Y (fig 1 et 3), et pour cet effet il est reçu dans une pièce de bois appelée grippe devant (on suppose que l'arbre de la roue qui est au fond, fait le derrière du moulin). Chacune de ces grippes de devant, qui reçoivent les queues des marteaux, est une pièce de bois comme E (fig. 1 et 2), et F (fig. 3), qui a huis pieds et demi de haut sur deux pieds un pouce de large, et six pouces d'épaisseur. Les grippes sont espacées à un pied dix pouces les unes des autres ; elles ont chacune trois entailles en manière de créneaux, de la largeur nécessaire pour recevoir les queues des maillets, qui y sont contenues comme en une espèce de charnière par le moyen d'une bonne cheville Z, qui est un gros boulon de bois de chêne, doux, et coupé depuis deux ans, qui traverse toute la largeur de la grippe et les queues des trois maillets qui servent à une même pile. Au milieu de la hauteur de chaque grippe de devant, sont suspendus par des anneaux les trois crochets c,r,o, qui servent à élever les maillets comme on l'a vu (§. 95). 99. Les six grippes de devant sont implantées à tenons et à mortaises dans une pièce de charpente EE (fig. 1 et 2), couchée sur terre à trois pieds et demi de l'arbre des piles ; et pour empêcher que ces grippes ne déversent parle haut en s'écartant de l'arbre des piles, elles sont fixées par des chevilles grosses comme le bras, marquées 1 et 2 (fig.3), sur le tenon de la grippe F. 100. Comme les maillets sont fort longs, et qu'ils pourraient se détourner à droite ou à gauche, ou se choquer mutuellement, ils sont contenus près de leur tête par d'autres pièces de bois, appelées grippes de derrière, semblables à celles que nous venons de décrire, mais auxquelles il n'y a ni trous, ni crochets, parce que leur usage ne consiste qu'à conserver la direction des maillets pendant leur élévation et leur chute, et les obliger à présenter toujours la tête aux mentonets du grand arbre. Ces grippes de derrière sont marquées ee (fig. 1, 2 et 3) ; elles sont portées et assemblées par une grande pièce de bois, couchée entre le grand arbre et l'arbre des piles, semblable à celle qui porte les grippes de devant. 101. Les trois marteaux qui agissent dans une même pile, sont égaux pour la hauteur ; mais ils différent un peu quant à l'épaisseur : le plus épais, ou le fort, a cinq ou six lignes de plus que le faible, et il est placé du côté où l'auge reçoit l'eau. Il commence à hacher le drapeau, et le renvoie au marteau opposé, qui se nomme le faible ; celui-ci le renvoie au marteau du milieu, qu'on appelle simplement le milieu. Ce dernier hache la matière aussi bien que les autres ; mais il la comprime aussi pour forcer, l'eau à s'égoutter au travers de |a toile de crin dont nous parlerons (§. 111). 102. Les chevilles du grand arbre qui répondent aux maillets forts, ont quatre pouces ; celles des moyens ont trois pouces et demi ; et celles des faibles, trois pouces seulement : les levées de ces trois maillets sont de trois pouces et demi, trois pouces, et deux pouces et demi ; ce qui augmente encore l'inégalité de leur force. C'est cette inégalité qui fait pirouetter ou tourner le chiffon dans les piles, afin qu'il soit mieux battu, soulevé et retourné, au lieu d'être simplement foulé contre le fond des piles. Quelques papetiers croient que c'est là un secret dont ils sont en possession ; mais cela, est connu par-tout où l'on fait travailler (32). 103. Le bachat-long (33) HH (fig.1 et 2), est une longue pièce de bois creusée en forme de gouttière, suspendue au massif du mur par des crochets l, au-dessus du grand arbre. Le bachat-long reçoit l'eau du petit reposoir qui est au-dehors du moulin, dont on a parlé (§. 70), et la transmet aux trois bachassons par le moyen de trois petites gouttières marquées 2, 2. 104. Les bachassons (34) sont trois petites auges d'un pied et huit pouces de long sur dix du large et six de profondeur, qui sont placées de niveau aux creux de piles ; les planches de ces trois bachassons ont un pouce d'épaisseur, et deux petites avances où talons pour les appuyer contre les grippes. Chacun de ces bachassons K (fig. 2) est placé entre deux piles auxquelles il donne de l'eau par deux chanelettes ou tuyaux de bois, placés aux deux extrémités supérieures de chaque bachasson, et marqués 3, 3 qui avancent de deux pouces sur les creux de piles. 105. Sur chaque bachasson, il y a encore un autre petit bachat, nommé couloir ou civière, formé de quatre planches, dont le fond n'est qu'une étoffe claire de laine ; ce couloir sert à retenir les ordures que l'eau pourrait avoir charriées, et qui entreraient dans le bachasson. 106. Si l'on fait la récapitulation de ce que nous avons dit dans les §§. 70 et 76, on verra que l'eau n'arrive aux creux de piles, qu'après avoir passé par un panier du canal, par une canonnière, un panier du grand reposoir, par une canonnière et une grille très-fine du petit reposoir, souvent au travers de plusieurs tas de chiffons, et enfin par le couloir du bachasson. Toutes ces précautions sont inutiles : on ne peut jamais en employer trop, lorsqu'il s'agit de la propreté de l'eau qui doit arroser les chiffons et entrer dans la formation du papier. 107. Nous avons dit que les bachassons devaient être de niveau avec la surface supérieure de la pièce où sont creusées les piles : par-là ils se dégorgent dès qu'ils sont pleins, et les bachats ont une eau suffisante, sans en recevoir au-delà. Le surplus y serait préjudiciable : ce n'est point par la surface et par les bords que l'eau doit sortir des creux de piles, elle entraînerait la matière du papier ; mais c'est par une issue inférieure, dont nous parlerons §. 111. 108. Toute la charpente de ce moulin, savoir, l'arbre des chevilles et ses dormans, l'arbre des bachats, les grippes et les maillets ; tout cela, dis-je, est posé sur plusieurs pièces de bois de chêne, enterrées au niveau du rez-de-chaussée, et se nomme le char du moulin. Le gouverneur est chargé de diriger toute celle partie ; c'est là le premier en titre des six ouvriers qui s'emploient dans les bonnes papeteries d'Auvergne. Nous parlerons successivement des cinq autres, qui se nomment ouvreur, coucheur, Ieveur, vireur, et saleran. L'une des fonctions du gouverneur est de laver et rincer plusieurs fois tous les matins les piles, les maillets, les couloirs, et tous les ustensiles du moulin. Cela se fait avec une petite cuvette, toujours pleine d'eau très-nette, et qu'on nomme le rinçoir. Il faut même rincer quelquefois dans la journée, quand il arrive que quelque partie de l'ouvrage rejaillit sur les maillets, ou sur les bords des piles. Il arrive aussi quelquefois, soit par la quantité d'eau qui ne s'écoule pas assez, soit parce que le moulin va trop lentement, que les bachats se remplissent trop et que la pâte reflue par-dessus : alors le gouverneur la laisse sur le bord des bachats jusqu'à ce qu'il faille remonter, et ne les rince qu'à mesure qu'il remonte. Quelquefois aussi elle se répand du bord des piles jusques sur le plancher du moulin, sans avoir passé par les trous du fond de ces piles : c'est un inconvénient qu'il faut éviter avec le plus grand soin ; et c'est là le devoir du gouverneur. Pour empêcher aussi la perte des matières qui rejaillissent des mortiers, on place sur l'arbre des piles et entre les grippes de derrière, des bouts de planches qui y sont attachés, et qui en garnissent les intervalles. 109. Le gouverneur doit prendre garde que le fer et le bois des maillets soient bons, et qu'il ne s'en détache ni esquilles, ni rouille, ni éclats, qui puissent gâter la pâte. On doit aussi écarter les mouches avec soin : c'est faute d'attention dans ce genre qu'on voit si souvent du papier où il se trouve des corps étrangers. Pour une plus grande propreté, l'endroit d'une papeterie où se trouve le moulin, ceux où sont établies la cuve de l'ouvrier et celle de la colle, devraient toujours être voûtés. 110. Le gouverneur doit être attentif à la pluie, même pendant la nuit ; car s'il survient une pluie assez forte pour troubler l'eau, on est forcé de discontinuer le travail : l'ouvrage serait moins pur et moins beau. Alors le gouverneur est obligé d'aller détourner les gorgères du canal qui porte l'eau sur les alives de la roue, aussi bien que celui qui en fournit au bachat-long. On serait étonné en voyant ce gouverneur s'éveiller à point nommé dès qu'il pleut un peu fort, dans les montagnes d'Auvergne ; mais tout ainsi qu'il est accoutumé à s'endormir au bruit des maillets, qui est toujours réglé et uniforme, de même il est réveillé aussitôt que la pluie venant à augmenter le torrent et à précipiter le mouvement de la roue, les coups de maillets redoublent de fréquence. 111. Il est nécessaire, pour bien laver les chiffons, d'établir une espèce de courant, dont la nouvelle eau prenne sans cesse la place, dans les creux de piles, de l'eau sale dans laquelle les chiffons viennent d'être broyés : pour cet effet, on lui ménage une issue dans l'intérieur de chaque pile au-devant du bachat, et au travers d'une pièce qui se nomme le kas. C'est une plaque de bois de chêne M (planche II. fig. 3) d'un pied et demi de haut sur sept pouces de large et deux pouces d'épaisseur. Dans le milieu de cette plaque on voit trois ouvertures, chacune d'un pouce de largeur sur trois pouces de hauteur, distantes l'une de l'autre de deux lignes seulement. Ces ouvertures répondent à un trou qui est au fond de chaque creux de pile, par lequel l'eau petit s'écouler, et elles sont couvertes d'un tamis de crin nommé toilette, attaché au kas par de petits clous à tête plate, tels que N, pour que l'eau ne puisse point entraîner le chiffon qu'elle vient de délayer. Ce kas est placé vers L, entre deux coulisses qui sont dans l'épaisseur de la partie antérieure de l'arbre des piles ; et comme dans le contour de l'ovale que forme le bachat il reste des vides dans lesquels pourraient tomber les chiffons que les marteaux font quelquefois rejaillir bois du bachat, on bouche cet endroit avec la couverture du kas représentée en h. C'est une pièce de bois un peu longue et plate par-dessus, avec un retour en équerre, qu'on lait entrer dans ce vide. Il y a au haut du kas un petit enfoncement marqué m, qui ne pénètre pas toute son épaisseur, et ne sert que pour le soulever de la main quand on veut l'ôter : c'est ce qu'on appelle la pince du kas, et c'est précisément jusqu'à la hauteur de cette pince qu'on fait aller celle des coulisses. Souvent, faute d'avoir donné assez d'eau à la pâte, l'ouvrage se trouve trop sec ; alors les marteaux qui le poussent contre le kas, rompent la toilette, et la pâte se répand sur le plancher. Ces toilettes du kas demandent beaucoup d'attention, elles crèvent souvent, et ne doivent même servir que douze ou quinze jours, parce que la graisse de l'ouvrage les empâte et empêche la filtration de l'eau. 112. Quand le gouverneur porte les chiffons aux creux de piles, il emploie des gerlons qui en contiennent environ le poids de vingt-cinq à trente livres, et qui en déterminent ainsi ce que les bachats en doivent contenir ; car si les bachats étaient plus remplis l'un que l'autre, les chiffons seraient, plus ou moins battus, et le papier en serait inégal. On observe aussi de ne mettre les drapeaux dans les creux de piles qu'à plusieurs reprises différentes, et de quart d'heure en quart d'heure : si on les mettait tout d'un coup, ils pourraient s'engorger et se lier ensemble ; les maillets ne pourraient pas les hacher aussi facilement. 113. Les chiffons sont d'abord broyés dans les piles-drapeaux : ce sont les deux premières piles du moulin, qu'on appelle ainsi piles à éfilocher. Ils y restent jusqu'à ce qu'on n'aperçoive plus aucune forme de toile, et qu'ils soient convertis en filamens ; ce qui dure six, huit, dix ou douze heures, suivant la vitesse de l'eau et la force ou la dureté du drapeau. La pâte n'étant pas encore fort divisée, on ne craint pas qu'elle s'échappe par la toilette quoique fort claire, et l'on donne beaucoup d'eau pour emporter toute la crasse du chiffon. Quand les chiffons ont été suffisamment broyés dans les piles-drapeaux, le gouverneur les met dans les deux piles suivantes, appelées piles-floran ou piles à affiner ; et c'est ce qu'il nomme remonter. Cette opération se fait avec une écuelle de bois d'environ six pouces de diamètre, qu'on appelle pour cela écuelle remontadoire. Quelquefois aussi la pâte, au sortir des piles-drapeaux, se porte dans les caisses de dépôt. 114. Les matières sont travaillées dans les piles à affiner pendant douze, dix-huit, vingt-quatre heures, suivant la force des eaux et celle du chiffon. On donne moins d'eau aux piles à affiner ; la toilette y est plus fine, afin de laisser moins échapper de la substance du chiffon. On juge que l'opération est achevée, lorsqu'on n'aperçoit plus ni filamens ni flocons ; pour s'en assurer mieux, on en prend la grosseur d'une petite noix, qu'on pétrit dans les doigts pour en exprimer l'eau : on en forme un petit cylindre ; on le rompt par le milieu avec une secousse prompte, et l'on examine sur les cassures s'il n'y a point de filamens. On éprouve aussi cette pâte, en en délayant un peu dans de l'eau ; on agite cette eau qui devient blanchâtre, et l'on regarde s'il n'y a point de flocons ou de filamens qui surnagent dans cette liqueur ; elle doit être homogène comme du lait. Au lieu de vingt-quatre heures tout au plus, qu'on emploie en Auvergne, il faut vingt-huit ou trente heures en Angoumois pour affiner ; parce que les eaux y sont moins fortes, et les pilons plus légers. La pâte étant affinée se verse avec l'écuelle remontadoire dans une bassine de cuivre d'environ deux pieds de diamètre, garnie de deux anses, qui sert à transporter l'ouvrage dans les caisses de dépôts, si l'on ne se propose pas d'en faire usage le même jour. Nous parlerons plus en détail de l'éfilochage, de l'affinage et de la pâte qui en résulte, lorsque nous aurons parlé des cylindres, qui forment une autre espèce de moulins plus commodes et plus parfaits que ceux dont nous venons de parler.
Et puisque chaque maillet doit frapper quatre coups dans un tour de roue, il faudra, après avoir marqué le premier mentonet, diviser le cercle en quatre parties, chacune de quatre-vingt-dix degrés. On aura le nombre de mentonets demandé, qui feront lever les maillets dans l'ordre le plus favorable. (29) En Allemagne, cette pièce s'appelle Lacherbaum. (*) Les martinets sont les marteaux des grandes forges de fer. (30) Les moulins d'Allemagne et de Bohème n'ont presque jamais moins de six piles (en allemand, Stampflacher), et souvent ils en ont davantage. Elles ne servent qu'à éfilocher, ou à faire la demi-matière, comme disent les ouvriers Allemands. Pour affiner, toutes les papeteries ont des cylindres de Hollande, où passe tout ce qui a passé au pilon. En Suisse, les cylindres ne sont pas encore introduits par-tout : peut-être que la publication de cet Art fera sentir tout l'avantage de cette machine. (31) Si ces auges en pierre ne sont pas revêtues d'une platine de fer, la pierre, quelque dure qu'on la suppose, sera bientôt attaquée par l'action continuelle des pilons ; il s'en détachera des graviers, si soigneusement écartés par les papetiers qui entendent leur profession. (32) Dans les papeteries d'Allemagne, on ne connait pas ce prétendu secret. Les trois pilons ont la même épaisseur, et leur levée est la même. Il faut que cette méthode ne soit pas fort importante car les papetiers Allemands travaillent fort bien leur matière. (33) En allemand, die lange Rinne. (34) En allemand, Wasserkasten. |
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