Manuel Roret du Relieur |
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§ 5. - Chagrin
Comme le maroquin, le chagrin est encore une invention orientale. Ce qui le caractérise, c'est qu'il est grenu d'un côté, c'est-à-dire couvert de petits tubercules arrondis. En Perse, en Turquie, dans l'Asie-Mineure, où on l'appelle saghir ou sagri, on prépare le chagrin avec la partie de la peau de cheval et d'âne sauvage qui recouvre la croupe de l'animal. Pour matière tannante, on se sert de tan de chêne ou d'alun. Enfin, on produit le grain d'une façon assez bizarre. Après avoir ramolli la peau, on l'étend dans un châssis, puis on répand, sur le côté de la chair ; la semence dure et noire de l'Arroche sauvage (Chenopodium album des botanistes), après quoi on la piétine pour y faire bien pénétrer les graines, et l'on fait sécher. Quand la peau est devenue sèche, on la secoue pour en faire tomber les semences ; elle paraît alors criblée de petites cavités produites par la pression des semences. Plus tard, à la suite de certaines manipulations, toutes ces parties déprimées augmentent de volume et, en se soulevant, donnent naissance aux tubercules que l'on veut produire. La fabrication du chagrin existe en Europe, notamment en France, depuis une cinquantaine d'années au moins, mais elle n'y a pris quelque importance qu'après 1830. Elle n'emploie, du moins pour la reliure, que des maroquins ou des moutons maroquinés. Dans le principe, on n'opérait que sur des morceaux découpés à la demande des relieurs, et l'on y faisait le grain, c'est-à-dire les tubercules, au moyen d'une planche gravée que l'on appliquait sur le cuir après l'avoir chauffée à une température peu élevée, et sur laquelle on exerçait ensuite une assez forte pression. Mais ce grain n'avait ni la fermeté ni la régularité désirables ; il disparaissait même en partie entre les mains des relieurs. Le relieur Thouvenin paraît être le premier qui ait chagriné à la main. Après avoir taillé, encollé et préparé, ses peaux, il les roulait avec le liège et la paumelle, et obtenait un grain ferme, serré et à pointe diamantée, qui fut immédiatement recherché par les amateurs. Ce procédé avait cependant deux défauts fort graves: il était long et dispendieux. Il y avait donc un nouveau progrès à réaliser. On eut alors l'idée de chagriner les peaux entières après la teinture ; mais le grain, qui ne se forme que par le renflement de l'épiderme du cuir et par un travail très long, et qui, en outre, exige une grande adresse de la part de l'ouvrier, ne put d'abord s'obtenir que très imparfaitement. Ce ne fut même qu'après une multitude d'essais que l'on parvint à faire du chagrin de qualité convenable, c'est-à-dire à grain égal, ferme, serré, mat au fond et brillant à la surface. C'est par un paumelage soigné que le maroquin se chagrine, et l'on se sert, suivant le cas, de paumelles striées en dessous ou de paumelles où les stries sont remplacées par un morceau de peau de chien marin dont les rugosités déterminent la formation du grain. On emploie aussi des cylindres garnis de cannelures très fines disposées en spirale, et entre lesquels on fait passer les peaux dans des sens différents, mais le grain produit par ces machines, n'a aucune durée, il ne se soutient même pas au travail. |
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