Manuel Roret du Relieur

 
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Préface

Première partie - Brochage

Deuxième partie - Reliure

Considérations générales

Chapitre 1
Matières employées par le relieur


Chapitre 2
Atelier et outillage du relieur


Chapitre 3
Opérations du relieur

  1ère section - Reliure pleine
  2ème section - Demi-reliure
  3ème section - Cartonnages
   § 1. - Cartonnage commun
   § 2. - Cartonnage à la Bradel
   § 3. - Cartonnage emboité

Chapitre 4
Racinage et marbrure de la couverture


Chapitre 5
Marbrure sur tranche


Chapitre 6
Dorure et gaufrure


Chapitre 7
Reliure mécanique


Chapitre 8
Reliures diverses


Chapitre 9
Renseignements divers


 

 
§ 2. - Cartonnage à la Bradel

Le CARTONNAGE À LA BRADEL est d'origine allemande. Le nom qu'on lui donne en France n'est autre que celui du relieur qui l'a importé dans notre pays ou du moins qui l'a pratiqué le premier avec le plus de succès. C'est une véritable reliure à dos brisé où la tranche peut être rognée ou conservée, et dont le dos et les cartons ne sont couverts que de papier. On l'emploie surtout comme moyen de conservation provisoire, pour les livres auxquels on se propose de faire mettre plus tard un riche habillement, et lorsqu'il est exécuté avec soin, il est solide, propre, et figure assez agréablement sur les rayons d'une bibliothèque.

Peu de mots suffiront pour faire comprendre comment on exécute un cartonnage à la Bradel.

Les feuilles sont pliées et battues à l’ordinaire. Ensuite, comme il faut que la bonne marge soit conservée, c’est-à-dire qu’on ne doit couper de chaque feuillet, du côté de la gouttière, que ce qui excède les plis que présente de ce côté chaque feuillet, et en queue ce qui excède la bonne marge, sans toucher en aucune manière à la tète, on se sert d’un patron qui guide dans cette opération. Ce patron est fait d’un morceau de carton fin et laminé que l’on coupe bien carrément à l’aide d’une équerre de tôle ou de fer-blanc de la grandeur de la feuille pliée bien d’équerre. On pose le patron sur chaque cahier, puis on les bat ensemble sur la table, en dos et en tête, pour les faire bien rapporter, en commençant par la première feuille, et l’on coupe avec de grands ciseaux ou avec des cisailles, tout ce qui excède le carton, en gouttière ou en queue. On renverse la feuille coupée et on la met de côté ; on en fait autant à chacune des suivantes, et on les renverse l’une après l’autre sur la précédente. Et lorsqu’on a fini le volume, les cahiers se trouvent rangés dans l’ordre numérique ou alphabétique des signatures. Si les cahiers n’étaient pas gros, on pourrait en travailler plusieurs à la fois.

On emploie quelquefois un procédé plus expéditif. On prend le volume en entier avant de le coudre, et, après avoir collé les gardes blanches et l’avoir grecqué, s’il doit l’être, on pose dessus le patron ou carton modèle ; on les bat sur la table en tête et en dos afin de les bien égaliser ; on met derrière un carton plus grand ou une planche en hêtre bien rabotée ; on place le tout dans la presse à rogner, et l’on serre fortement. On rogne alors tout l’excédant du carton sans former la gouttière, mais on ne rogne pas en tête. Comme les feuilles qui excèdent la bonne marge n’ont pas de soutien, si l’on se servait du fer ordinaire à rogner, qui est pointu ; il déchirerait ou écorcherait les feuillets de fausse marge. Pour éviter cet inconvénient, on a un couteau exprès qu’on a aiguisé en rond, qui ne sert qu’à cela, et on le monte dans un talon à la lyonnaise qui, ne lui laissant que peu de lame en dehors de la monture, le tient ferme et ne lui permet pas d’écart. Enfin, on coud le volume à la grecque avec les précautions d’usage.

La couture terminée, on met le livre en presse entre deux ais, sans arrondir le dos, et l’on passe sur le dos plusieurs couches légères de colle forte assez épaisse ; puis on épointe les ficelles, que l’on coupe à 20 ou 25 millimètres de long, et on les colle avec de la pâte sur l’onglet de la fausse garde, qui doit être plus large que dans les reliures ordinaires ; cet onglet doit être fait avec du papier fort et collé.

On met le volume à la presse entre deux ais ferrés, ou entre les mâchoires d’un étau à endosser, on l’endosse à l’anglaise (page 150), et l’on forme le mors. On peut aussi, pour plus de solidité, et lorsqu’on est parvenu à ce point, le mettre en paquet avec d’autres et le frotter.

Arrivé à ce point, on prépare une carte, que l’on coupe de 8 centimètres plus large que la largeur du dos, et d’une longueur égale à celle des cartons qui doivent former les chasses. Ensuite on marque en haut et en bas de la carte, deux points, à la distance exacte de la largeur du dos, en laissant à droite et à gauche de ces deux points une distance égale; mais comme on a formé le dos en arc de cercle, afin d’avoir sa largeur égale, on doit aplatir le dos, ce qui se fait en prenant le volume de la main gauche, par la tête, et dans l’intérieur, en laissant libres à droite et à gauche deux ou trois cahiers, ce qui force le dos à s’aplatir.

Cela fait, avec un compas, on prend la largeur exacte du dos ; on porte cette largeur au milieu de la carte, et l’on marque en haut et en bas deux points. On pose une règle de fer sur ces deux points dans le sens de la longueur de la carte ; on appuie fortement sur la règle, et passant un plioir sous la carte, on la soulève contre l’épaisseur de la règle ; on détermine un pli qu’on forme bien avec le plioir. On fait pirouetter la carte, on en fait autant de l’autre côté. On aplatit ce pli avec le plioir. On retourne la carte sens dessus dessous, et à côté de ce pli et en dehors du dos, on fait de la même manière, de chaque côté, un second pli, en sens inverse du premier, à une distance égale à la largeur du mors du livre. On arrondit la carte au milieu, dans sa longueur, en passant le plioir intérieurement par son tranchant. Cette carte, ainsi pliée, présente la forme du dos d’un volume avec les mors.


Il ne s’agit plus que de coller la carte sur le dos du volume. Pour cela, avec un petit pinceau on passe de la colle de pâte dans le mors et sur les bords qui sont à côté, en ayant l’attention de ne pas en mettre sur la partie qui doit toucher le dos, afin que le volume, soit à dos brisé. On met ce dernier en presse entre les deux mêmes ais ferrés, et l’on unit la carte avec le frottoir en buis.


Il s’agit maintenant de préparer les cartons. On en prend deux, qu’on rogne du côté du mors, en tète et en queue, à l’équerre et de la longueur des châsses. Mais nous avons ici une observation à faire sur cette opération, afin d’éviter des erreurs.

Lorsqu’on fait une reliure ordinaire, on rogne les cartons en tète et en queue, en rognant le volume, et alors les cartons ont leurs bords supérieurs et inférieurs parallèles à la rognure du volume ; et si l’on avait commis une erreur en ne rognant pas parfaitement à l’équerre, cette erreur ne serait presque pas sensible. Il n’en serait pas de même dans le cartonnage dont nous nous occupons. Les cartons que l’on rogne ne tiennent pas au volume pendant cette opération, et si l’on était toujours parfaitement assuré de la rognure aux angles droits, il n’y aurait aucun inconvénient ; mais, comme on ne peut pas avoir cette certitude absolue, et si, par exemple, l’angle de la tête excédait l’angle droit, et que celui de la queue fût plus petit, on concevra facilement que le volume ne pourrait pas se placer perpendiculairement sur la tablette, et que les quatre angles ne porteraient pas également.

On rogne ordinairement dix cartons à la fois, après les avoir battus sur la pierre avec le marteau, pour les aplanir et leur donner plus de consistance. Lorsqu’ils sont rognés, on est obligé de les placer l’un sur l’autre, à 3 centimètres environ de distance, c’est-à-dire à une distance égale à la largeur de la partie de la carte qui se trouve sur le plat du livre, puisque c’est sur cette bande de carte qu’ils doivent être collés. On les met l’un sur l’autre pour les tremper de colle tous à la fois ; mais si on les plaçait tels qu’ils se trouvent en sortant de la rognure, sans aucune distinction, et qu’on les trempât ainsi, il arriverait que si l’on, avait marqué tous les cartons en tête, du même côté, tels qu’ils se trouvent placés en sortant de la rognure, et si on les avait disposés l’un sur l’autre à la distance convenable, en mettant toutes les marques du même côté, en haut par exemple, lorsqu’on les collerait sur la carte, un des cartons aurait la marque en tête du volume, et l’autre l’aurait en queue, et s’il y avait eu erreur dans la rognure et qu’elle ne fût pas parfaitement à l’équerre, l’erreur aurait doublé et le volume présenterait un aspect désagréable. Pour éviter cet inconvénient, qui, après coup, ne pourrait être que très difficilement réparé, nous allons voir comment s’y prend un ouvrier intelligent.

Nous venons de voir qu’on rogne ordinairement dix cartons à la fois, ce qui suffit pour la couverture de cinq volumes. Supposons, pour nous faire bien comprendre, qu’on les a tous marqués en tête d’un des premiers chiffres, 1, 2, 3, 4, etc. ; on pose le n° 1 sur la table, la tête en haut ; à 3 centimètres de distance on place le n° 2 par-dessus, mais en retournant la tête en queue ; ou ce qui revient au même, le chiffre 2 du côté de la queue, le n° 3 par-dessus le n° 2, à la même distance, mais le chiffre en haut ; le n° 4 comme le n° 2, par-dessus, et ainsi de suite jusqu’au dernier. Il résulte de cet arrangement que tous les chiffres impairs sont du côté de la tête, et tous les chiffres pairs du côté de la queue.

D’après cela, en collant chaque carton sur la carte, et les prenant dans le même ordre naturel des chiffres, comme l’on est obligé de retourner les cartons pour les coller, les chiffres 1 et 2, qui sont sur le premier volume, se trouvent tous les deux du même côté, soit en tête soit en queue, selon qu’on a posé le premier dans un sens ou dans l’autre. Cette observation est une des plus importantes, et la précaution que nous indiquons remédie à un inconvénient des plus graves.


Avec un petit pinceau, on passe de la colle sur la carte qui est déjà collée sur le volume, sans la dépasser du côté de la garde, et l’on place dessus le premier carton ; on en fait autant de l’autre côté, et l’on y place le carton n° 2, et ainsi de suite sur les autres quatre volumes ; alors on met les cinq volumes à la presse entre les ais, on serre fortement, et on les y laisse aussi longtemps qu’on le peut.

On a soin, en collant les deux cartons sur chaque volume, de les placer de manière qu’ils arrivent des deux côtés aux extrémités des deux chasses, déjà déterminées par la hauteur de la carte. Il faut aussi avoir soin de bien serrer les deux extrémités des châsses, entre le pouce et l’index, afin de faire coller parfaitement entre elles les extrémités des châsses des cartons, et celles des châsses de la carte, qui, n’ayant aucun soutien en dedans, ont toujours une tendance à se séparer. On laisse bien sécher.

Quand le volume est parfaitement sec, on compasse sur la marge la largeur qu’on veut donner aux cartons sur le devant, et on les rabaisse de la même manière que pour la reliure pleine.

On colle ensuite les coins en parchemin très fin ; on colle pareillement, en tête et en queue, du même parchemin, que l’on replie en coiffe, en embrassant la carte, afin de donner plus de solidité au dos dans cette partie, et suppléer par là à la tranchefile, que n’a pas ce genre de reliure. On a soin de parer, sur le volume, quand il est sec, le parchemin des coins, pour que, sous le papier, il ne présente pas d’épaisseur saillante.

On pourrait couvrir le dos en peau et le reste en papier, mais, c’est le propre de ce cartonnage de n’employer que du papier, lequel est ordinairement de couleur. Ce papier peut recevoir, par les procédés de la dorure, de l’impression, de la marbrure et de la gaufrure, les enjolivements les plus variés. On le colle sur les cartons avec presque les mêmes soins que la peau.

Il y a une trentaine d’années, le cartonnage à la Bradel avait une vogue qui paraissait devoir durer très longtemps. Il ne se fait plus guère aujourd’hui, où le cartonnage emboîté l’a remplacé.






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