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Question de grammage - nouvelle version, suite à quelques découvertes.Corrigé à nouveau sur les quantités produites

En papeterie, le grammage exprime la force d'un papier en grammes par mètre carré.

Jusqu'à l'apparition d'instruments de mesure suffisamment précis pour le peser feuille à feuille ou en mesurer l'épaisseur, le poids de la rame était l'unique moyen d'en définir la force.
La notion de grammage, quasiment inconnue en Extrême-Orient où le nom d'un papier en définit à la fois les dimensions et l'épaisseur comme c'était le cas en Occident avant le XIX° siècle, est récente.

Cela dit, à grammage égal tous les papiers n'ont pas la même épaisseur. Papetiers et imprimeurs, pour les différencier et à défaut d'instrument de mesure, parlent de main. Un papier qui a de la main paraît au toucher plus épais que son grammage ne semble l'indiquer. Les relieurs en ce cas parlent d'un papier creux. Pour eux la main signifie la tenue, petite divergence de langage source de bien des malentendus.

Si l’on excepte les cartons dont le poids est beaucoup plus important et dont la force s’exprime en général en épaisseur, le grammage du papier peut varier entre 5g/m2, papiers autrefois fabriqués comme isolants de condensateurs électriques et 600g/m2, papiers d’aquarelle ou de gaufrage.

En papier antérieur à la fabrication industrielle les grammages oscillaient entre une trentaine de grammes (serpentes, papiers joseph) et 180g g/m2 pour les grands in plano destinée à la cartographie, aux herbiers, à la réalisation d’ouvrages exceptionnels contenant des planches illustrées, aux cartons de tapisserie… La grande majorité des fabrications se situant, comme aujourd’hui en papiers industriels, autour de 60, 80g/m2.

Pour mémoire un papier à cigarette (il s’en est fait très peu en papier à la main) pèse plus ou moins 20g/m2, un bible 32g/m2.

À partir du XIX° siècle, la mécanisation du processus de fabrication a fait disparaître la correspondance qui existait entre le format et le grammage, celui-ci augmentant en proportion du format. Il existe des exceptions, il y en a toujours. Par exemple des papiers à la cloche (29x39cm ou 29x41cm) dans le sud de la France au XVI, XVII et XVVII° siècle utilisés dans les registres notariés dont la force est importante par rapport au format : environ 85g/m2. Mais il s’agit de papier destiné à une profession particulière, ce qui explique sans doute cet écart. A noter qu’il semblerait que pour l’occasion on ait fait un lien entre solidité (au sens large) et grammage, ce papier devant par destination traverser le temps et résister aux consultations.

La tendance naturelle des papetiers à toujours été de faire le plus léger possible afin d’épargner de la matière première, celle de leurs clients allait bien sur à l’inverse. L’augmentation de poids en fonction du format est rendue nécessaire tant au niveau de la fabrication qu’a celui de l’utilisation pour des raisons de résistance aux manipulations. En fabrication, plus la feuille est grande plus elle est difficile à presser (pression au cm2) et plus elle est fragile au découchage d’où nécessité d’augmenter la quantité de matière et à l’utilisation, une feuille légère de grand format est beaucoup plus fragile qu’une feuille plus lourde.

Si l’on aborde les papiers d’Extrême-Orient ou les papiers Arabes, le problème devient beaucoup plus complexe. D’une part, la part de papier destinée à l’impression qui représente la grande majorité des papiers Occidentaux n’est pas présent, et le papier chinois destiné à l’impression est souvent monté en accordéon et doublé, d’autre part les techniques de fabrication et les matières premières sont, pour ce qui concerne les papiers Chinois, Japonais, Coréens, etc, extrèmement différents. Les fibres très longues assurent au papier mouillé une solidité beaucoup plus importante qui autorise des grammages très légers dans des formats que le monde Occidental a longtemps ignorés. Dans le très vaste monde de l’Islam, les papiers Arabo-Andaloux sont en général, la encore pour des raisons de fabrication et d’utilisation plus lourds que les papiers Occidentaux qui les remplaceront à partir du XIV° siècle. Il faut ajouter à cela la présence de l’amidon qui plombe la feuille jusqu'à parfois  20 %.

Jusqu'ici, les descriptions que nous possédons du processus de fabrication Occidental nous indiquaient qu’une cuve de moulin avec ses deux ouvriers consommait une centaine de livres (36 kg, la livre faisant autour de 480g) de matière sèche par journée de travail, cette quantité correspondant à la pâte produite par les battoirs actionnés par une roue en 24 heures. On retrouve ces chiffres dans tous les moulins existants. (Il devait, pour des productions spéciales, arriver qu’on produise moins) Ces soixante douze livres, en fonction du format de papier représentent 4000, 3500, 3000, 2500, 2000 ou 1000 feuilles. Le plus souvent 3500 à 4000, pour 10 heures de travail effectif. On entre là dans l’univers de la virtuosité des papetiers. Il faut imaginer que cela représente cent cinquante à quatre cents feuilles à l’heure, une feuille toute les 7 ou 8 ou 15 secondes. Les deux heures restantes étant consacrées aux pressées, environ une toutes les heures et aux divers impondérables qui jalonnent une journée de travail. Ils ne devaient pas avoir beaucoup de temps pour musarder. Voilà ce que je déduisais, peut-être hâtivement des différents textes du XVIII° siècle et principalement de la Lande. J'oubliais que la Lande décrità la fois que ce qu'il peut voir des "grands moulins" (comme Montargis) et des plus petites papeteries qu'il a pu visiter. Sa vision de la production mêle différentes techniques de fabrication de pâte et l'on peut à la fois voir une cuve consommer 100 kg de pâte (en format "grand aigle" à 160 livres la rame) ce qui donne à peu près 700 feuilles, en une journée et 28 kg (en format "petit Jésus" à 9 livres la rame) ce qui correspond à 4500 feuilles dans le même temps. Les constatations sur le fonctionnement de ma pile à maillet et de sérieuses questions sur les surfaces et les temps de séchage m'amènent à reconsiderer ces chiffres et à amener des corrections que l'on découvrira dans la suite de cet article.

Le grammage d’une feuille dépend de trois paramètres :
- La concentration de la pâte dans la cuve.
- La hauteur de la couverte qui détermine le volume de pâte retenu à chaque geste.
- Le geste de l’ouvreur.

La concentration de la pâte dans la cuve

Plus la pâte est concentrée, plus on en recueille. Au fur et à mesure du travail, la concentration diminue, il faut donc recharger la cuve pour maintenir une concentration constante. Plus la cuve est volumineuse, moins les variations sont sensibles. Le jeu consiste donc à tirer le maximum de feuilles de la cuve entre deux rechargements qui interrompent le travail par la nécessité qu’il y a de ré homogénéiser l’ensemble, la pâte que l’on introduit étant beaucoup plus concentrée que celle de la cuve. C’est là que vont intervenir la hauteur de la couverte puis le geste de l’ouvreur.

La hauteur de la couverte

Plus la hauteur de la couverte est importante, plus le tamis recueille de pâte : à concentration égale, une couverte haute augmente le grammage, ralentit l’égouttage et donc le rendement (par contre elle améliore la qualité du papier en assurant une meilleure formation de la feuille). Pour des raisons de rendement on a intérêt à travailler avec une couverte aussi mince que possible ce qui permet de concentrer la pâte et en conséquence de niveler les écarts de grammage. En effet plus la concentration est importante moins la quantité retirée à chaque fois fait varier l’ensemble. C’est là qu’intervient le geste de l’ouvreur.

Le geste de l’ouvreur

L’expérience que nous avons nous a fait constater qu’à cuve et à couverte identiques deux personnes ne font pas le même grammage. La variation est d’environ 10 %. Les écarts involontaires d’un apprenti sont encore beaucoup plus importants (autour de 30%). Cela montre qu’en modifiant son geste l’ouvreur peut contrôler son grammage. Il est possible de faire plus léger que la concentration induit ou plus lourd. Il faut pour cela soit rejeter de la pâte excédentaire soit accélérer et puiser plus profond pour la concentrer sur le tamis.

En jouant sur ces trois paramètres, on arrivait à espacer les chargements de façon compatible avec les rendements.

Pour avoir une estimation raisonnable de cette périodicité nous nous sommes livrés à une petite expérience.

A partir d’un volume donné d’eau et d’une quantité déterminée de fibres, l’expérience a consisté à tirer un certain nombre de feuilles avec la même forme, la même couverte et en essayant d’effectuer toujours le même geste.

La cuve contient au départ 150 litres d’eau et à peu près 1050g de fibres sèches. Ce qui donne une concentration de 7g/litre.

La forme mesure 44x56 cm et la couverte fait 16mm de hauteur.

18 feuilles sont tirées qui correspondent à 812g de papier ainsi réparti :
Feuille 1 : 65g , 2 : 65g, 3 : 66g, 4 : 58g, 5 : 56g, 6 : 53g, 7 :51g, 8 : 48g, 9 : 44g, 10 : 41g, 11 : 40g, 12 : 40g, 13 : 37g, 14 : 35g, 15 : 32g, 16 : 28g, 17 : 27g, 18 : 26g.

En fin de travail, la cuve contient 131,2 litres d’eau et une mesure de la concentration de pâtes donne 1,8 gramme par litre ce qui donne autour de 236 grammes de fibres restant dans la cuve. Ces chiffres sont approximatifs, mais les erreurs forcées de mesure de concentration ne modifient pas vraiment les constatations.

La quantité d’eau sortie de la cuve est excessive par rapport au poids du papier fabriqué : on estime en général qu’au moment du couchage la feuille retient encore 90 % d’eau ce qui dans le cas présent correspond à plus ou moins 7,3 litres. Ces 11 litres d’eau que l’on ne retrouve pas viennent du fait que les feuilles ont été égouttées largement en dehors de la cuve, ce dont il faut aussi tenir compte pour la variation de concentration au cours du travail.

Constatations

Comme il a été volontairement décidé de travailler dans un volume d’eau très réduit, la variation de grammage des feuilles se fait très rapidement et compte tenu de ces conditions, la progression est d’une régularité remarquable. Elle permet de constater qu’un geste même au bout de 30 ans n’est jamais parfaitement régulier. Les 3 premières feuilles sont pratiquement identiques : cela vient de ce qu’a cette concentration la forme ne peut pas faire plus lourd, mais une fois enlevés 196 grammes de la cuve, le grammage commence à descendre. Si j’avais à fabriquer dans ces conditions qui sont un peu extrêmes, une série de feuilles de ce format en 260g/m2, je rechargerais ma cuve de 195g de pâte toutes les trois feuilles avec de bonnes chances d’effectuer un travail très régulier (à défaut d’avoir du rendement).

Si l’on avait travaillé avec une couverte plus mince, les premières feuilles auraient été moins lourdes, mais il est vraisemblable que le grammage se serait maintenu plus longtemps. Sur les premières feuilles, le geste élimine naturellement la pâte en excès quand la concentration est importante : littéralement la forme ne peut pas faire plus lourd.

Il est sûrement possible d’établir une courbe de variation de grammage en fonction de toutes ces données, mais cela dépasse mes compétences mathématiques.

Le contrôle du geste lui doit permettre de prendre le contre-pied de cette courbe et de trouver un grammage régulier. Les conditions de l’expérimentation ne permettent pas de le vérifier car les volumes mis en jeu sont trop faibles et n’autorisent pas une grande marge dans le geste.

Revenons à notre papetier d’autrefois.

Pour des raisons de fabrication : piles à maillets, les pâtes étaient concentrées à 7% dans les défileuses et ce qui donne 70g par litre d’eau. La concentration peut varier suivant le type de matériaux et l'état de la pâte

Pour ce qui concerne les fabrications courrantes, petits formats entre un quart et un Hiuitième de m2, chaque heure l’ouvreur puisait environ 3k kilogrammes de pâte par 6,8,10, 15 ou 20 grammes à la fois en fonction du format et du grammage. En donnant une contenance moyenne à la cuve de 1000 litres d’eau (cela variait de 700 à 1300 litres) on peut considérer que la concentration de départ pour un grammage de 60g/m2 était de 5g par litre pour une couverte de 6mm de hauteur.

Aujourd’hui, pour un grammage équivalent avec une couverte de 1,6 cm, nous chargeons à 2,5 g par litre dans 600 litres d’eau. Nous rechargeons 300 grammes toutes les 15 feuilles en raisin (50x65cm soit un tiers de m2) pour une régularité satisfaisante (2 à 3 % de variations). Pour plus de régularité, nous rechargeons en deux fois.

Comme il y a au départ 1500g de pâte dans la cuve, nous constatons qu’une variation de densité de 20 % n’a pas une très grande influence sur les variations de grammage alors que notre geste est toujours le même.

Notre papetier d’autrefois muni d’une couverte bien plus mince, travaillant dans un volume d’eau plus important pouvait concentrer beaucoup plus sa pâte ainsi qu’il a été écrit plus haut. En modifiant son geste entre le début et la fin de sa série, il pouvait fabriquer un papier égal dans un bain qui pouvait perdre jusqu'à 15 % de sa concentration, ce qui lui permettait de fabriquer jusqu'à 1,5 kg de papier sans recharger. De plus une plus forte concentration facilite l'égouttage donc la rapidité du geste.

Il est probable qu’il rechargeait de 1,5 kg en 1,5 kg c’est-à-dire toutes les demi-heures. (200 feuilles en petit format, 180 ou 150 pour des formats plus grands et, ou, plus lourds).

Ce ne sont bien sûr que des hypothèses et il devait exister bien des variantes possibles mais on ne peut pas expliquer la production autrement.

Notre attitude d’aujourd’hui en face de ces problèmes de fabrication a largement été conditionnée par le fait que pendant des années depuis la fin du XIX° siècle la fabrication de papier main était surtout concentrée sur des papiers très lourds oscillants entre 180 et 280g/m2 destinés à l’édition de luxe et à l’aquarelle. Cela implique un rythme lent de fabrication, une dilution importante dans la cuve par rapport au grammage fabriqué pour avoir le temps de bien former la feuille, en conséquence, des rechargements fréquents, ou continus, de la cuve et de grandes précautions car il s’agissait de papiers luxueux. Ce n’est que depuis une quinzaine d’années qu’on s’est remis, surtout pour la restauration à fabriquer des grammages " normaux ".

Ces fabrications m’ont amené, au bout de plusieurs années (il m’aura fallu plus de 15 ans pour prendre conscience du problème), à essayer de reproduire des conditions de travail identiques pour ce qui est de la formation de la feuille dans la cuve, à celles qui devaient être pratiquées.

Pour cela, j’ai donc essayé de travailler en contrôlant la quantité de pâte puisée dans un bain fortement concentré et, à ma grande surprise, je suis arrivé à maintenir un grammage correctement régulier de 80g /m2 sur une soixantaine de feuilles raisin (27g chacune donc) ce qui, compte tenu de ma forme et de sa couverte, se rapproche des conditions de travail du XVII° siècle.

Conclusion

Cette question que j’ai tenté de clarifier et je ne suis pas certain d’y être parvenu car certains aspects sont tellement clairs pour moi que j’ai tendance à penser que tout le monde les comprend, ne se posait sans doute pas en ces termes dans les fabriques ou les petits ateliers. D’un bout de l’année à l’autre, exactement le même papier sortait des cuves, plus ou moins bienvenu en fonction des matières premières, de la qualité de la pâte, des conditions atmosphériques, de la température, de la qualité des eaux, variable en fonction des saisons et… de l’humeur des papetiers. Tout cela coulait de source, ils étaient tombés dans la cuve tout petits et aux cadences ou jour après jour, année après année, ils travaillaient, s’étaient installés des automatismes qui leur conférait une virtuosité sans pareille tout à fait comparable à celle d’un excellent instrumentiste. On reste quand même béat d’admiration devant ces gens capables de sortir jusqu'à 4500 feuilles chaque jour (en petits formats). Si cette virtuosité semble provenir d’automatismes, elle demande quand même une très grande attention et une profonde compréhension de tout le processus de formation de la feuille. Il y faut plus que ce qu’on appelle communément une intelligence pratique. On peut légitimement s’interroger sur les conséquences qu’ont eues dans l’évolution de nos sociétés la disparition de tous ces métiers manuels. Sans regretter bien sur la dureté des conditions du travail.

Jacques Bréjoux


 
 
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